Quand l’inspiration précède la création et que la création se limite aux propres projections du peintre, que peut être l’après d’une œuvre d’art ? Une toile vide ? Tant s’en faut.
« Le peintre et son Modèle » est un livre de Georges Richardot que publie 5 Sens Editions (Genève). Un livre. Mieux, une petite merveille littéraire. Une fiction métaphorique sous forme de récit, sans dialogues de confrontation. La muse est une femme. Des surprises insoupçonnées parsèment le sentier que lui fait emprunter son admirateur d’artiste. C’est captivant, dans un discours décapant. C’est au gré des envies du portraitiste qu’on « visionne » cette toile imagée. Tapis dans son vieux fauteuil en cuir ou debout, face à la fenêtre de son atelier, un homme habile se mandate pour esquisser le portrait de son Modèle. Passionnément, il l’imagine, devant une toile vide, au rythme d’une inspiration partagée entre fixation, incertitude et pouvoir de possession qu’effleure une vraisemblable solitude.
La fixation est là. Une femme sur qui se jette son dévolu. C’est elle et personne d’autre. Qu’elle prenne place en face de lui. Sa fixation garde des allures psychanalytiques, tant et si bien que l’artiste tente d’absorber une silhouette longtemps absente. Une absence productrice des forts sentiments de dépendance à l’inhibition destructrice. « Chaque journée se calque sur la précédente ». Une journée faite des mêmes hantises, des mêmes sensations éphémères, des mêmes envies de posséder, de la même volonté d’étaler, la muse de son rêve. Tout de suite. Là. Dans son champ de vision. Devant soi. La fixer, par le bout du pinceau, sur la toile. Retrouver quelqu’un qu’il croit avoir apprécié autrefois.
Où l’action de fixer se heurte à une incertitude. Tellement grande que l’artiste implore les cieux. En tâtant dans l’ombre. Pour que son Modèle apparaisse. Qu’elle se dévoile même par intermittence. « Attendre est insupportable, quand on n’attend rien ». Certes, se rendre à l’évidence. Qu’il n’y a personne à l’horizon. Mais, ne pas être méfiant. Ne pas baisser la tête. Du début à la fin du récit, on s’interroge sur les réelles intentions du Modèle. Elles paraissent inconnues. Viendra-t-elle ? Parlera-t-elle ? Se prêtera-t-elle au jeu de l’artiste avec sa légèreté légendaire ? Encore et encore, cette attente que meublent des possibles pas dans l’escalier. Une hypothétique traversée de l’atelier. Un éventuel détour obligé par la cuisine. Une acceptable pose à adopter. En dépit de cette attente, l’artiste ne vague pas. Il a un but précis. Qu’occupe un silence on ne peut plus ouaté. En place et lieu d’une présence espérée, défilent des absences qui semblent interminables. Absences et attentes se conjuguent pour peser, voire rendre insignifiant tout ce que l’atelier compte de décors.
La possession est celle d’une « muse ». Dans l’environnement du peintre. Possession qu’articulent des préliminaires d’accueil : le passage dans l’escalier, « il se pourrait se porter au-devant d’elle sur le seuil », le tête-à-tête souhaité « jusqu’à atteindre le summum de densité ». Elle, obéissante sans rechigner. Elle, se donnant à voir jusqu’aux moindres fragments de son corps. Elle, caressant l’égo du peintre. Et lui, alors ? Dans une position séduisante (de celui qui décide). Et qui régit ce beau monologue intarissable, jusqu’au plus érotique de ses envies. « Il pourrait, l’entier de cette femme, le lisser, le déplier, le disposer, le fouler, sonder les profondeurs de son langage, le ramener au point zéro, le nier, globalement puis en détail (…) arrêter son souffle jusqu’à mimer la cessation de vie, puis, auprès d’elle, dans la demi-nuit de l’atelier, ressusciter, recréant à travers sa prolixe complétude la multiplicité des formes ».
« Objet » du désir, le Modèle l’est. Le peintre semble l’aimer. Non pas pour ce qu’elle est, avec sa personnalité, sa conscience, mais pour « sa valeur d’usage ». A quelle réaction s’attendre dans une situation où tout ce qu’on veut avoir, vous glisse entre les doigts ? C’est là que l’interminable hantise se mue en une solitude. Pesante. Cette fameuse toile serait-elle une « excuse » du peintre pour un bel exercice d’exorcisme ? Mieux, « le peintre et son Modèle » n’est-ce pas un clin d’œil à l’exorcisme contre une vie « malmenée » par la solitude ? C’est une possibilité. Qu’à la suite de l’absence de l’Être aimé, l’artiste se sert de son pinceau -Et prend son mal en patience-, quoi de plus simple. Qui n’a pas besoin de quelqu’un pour effacer ses pincements du cœur. Être deux. Partager des sentiments. Et sortir de ses insomnies. Être deux. Pour se raconter joyeusement des histoires. Un seul moyen. Recourir à ce qu’on sait faire. L’artiste peint. Un exercice. D’une « influence calmante, lénifiante sur l’esprit » dixit Matisse.
Georges Richardot est un auteur français établi dans les Alpes-Maritimes. Fervent connaisseur et amateur éclairé de Raymond Queneau, il n’en est pas à ses débuts dans le monde littéraire. A son actif, des beaux textes (essais, romans, poésie, théâtre). « Le peintre et son Modèle » 133 pages, récit disponible chez 5 SENS EDITIONS, Genève, Suisse.
texte de Cikuru Batumike
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amicalement – france
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https://polldaddy.com/js/rating/rating.jsMerci, cher ami, pour ce texte, très « pensé »et très beau. Il me comble.
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