Des pans entiers de la littérature africaine restent ignorés du public international. Une littérature mal connue aussi bien par le regard esthétique des critiques que par des lecteurs. Une littérature effacée par celle dominante et conquérante, la littérature occidentale qui, elle, bénéficia, dès son existence, aussi bien d’un lectorat qu’accompagne une approche critique omniprésente que de l’évolution constante des structures indispensables à son existence. L’une des raisons de l’ignorance et de la méconnaissance de la littérature africaine réside dans le fait qu’elle a longtemps été basée -et exclusivement- sur la parole, contrairement aux autres littératures qui ont eu l’élément écrit en support; véritable instrument pour la circulation des idées et de la pensée. Toujours à l’état oral, la littérature africaine a connu pire : avant d’être ravagée par l’esclavage, elle fut annexée, purement et simplement, par l’Europe colonialiste. Elle doit sa survie au seul fait que la parole a été transmise par plusieurs générations jusqu’à l’apparition de l’écriture. Le constat.

A une certaine période, il était difficile de désigner par « littérature » ce mode d’expression d’une communauté caractérisée par l’oralité cependant que le Petit Robert nous rassura que la littérature est « tout usage esthétique du langage, même non écrit ». Une fois écrite, son arrivée tardive sur « l’orbite » des lettres s’est heurtée à d’autres éléments de poids : une faible diffusion; une précaire situation financière des maisons africaines d’édition, sans audience internationale; la difficulté des écrivains africains à vivre de leurs plumes; des questions liées à l’analphabétisme des populations indigènes et l’absence des vraies librairies.

DE L’ORAL A L’ECRIT

Il était une fois des contes; des textes initiatiques obéissant à la double exigence de l’esthétisme et de l’ésotérisme; des proverbes, des devinettes et des paroles déclamées. Des genres livrés dans une forme  poétique rythmée, accompagnée d’un instrument traditionnel. Il était une fois l’épopée, cette leçon éthicopolitique à partir de la vie d’un héros, ce genre littéraire lié à toutes les civilisations du monde.  Rappelons-nous l’épopée de Sunjata, communément appelée épopée Mandingue : une histoire qui se situa entre le mythe, le conte et la légende. Il était une fois le théâtre historique, les écrits en langue arabe,  le Koteba, théâtre traditionnel bambara fait de musique, danse et saynettes. Il était une fois Amadou Hampâté Bâ et d’autres auteurs moins célèbres: ils étaient contraints d’opérer leur choix: être du côté de cette oralité qui a perpétué la mémoire de l’Afrique ou prendre partie de l’écrit tout en sachant que ce mode occidental de transmission restituerait cette mémoire avec le risque de trahir son sens profond. Ils choisirent de se situer au carrefour des deux pour sauvegarder les racines du continent et contribuer à la réflexion universelle. Or donc, l’expression écrite dite « civilisée » a enterré, dans la précipitation, l’art oral, estimant qu’il était archaïque. Elle poussa aux oubliettes les quelques textes écrits en Wolof, Swahili, Lingala, Kikongo, Hausa, Sesuto, Xhosa, Zulu, Umbundu, Kikuyu, et beaucoup d’autres, sans chance d’avenir. Quelques tentatives de transcriptions ont essayé, tout au plus, de sauver les textes en langues nationales africaines. Amadou Hampâté Bâ est de ceux qui ont lutté pour que soit entreprise un travail de sauvetage du savoir traditionnel africain, par des enregistrements, des visites systématiques des vieux et autres démarches à saluer ici. On connait la célèbre phrase « En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » qui servit de leitmotiv à ceux qui tenaient à sauver de l’oubli certains vestiges passés de l’Afrique.

DE L’OUBLI A LA MECONNAISSANCE

La littérature en langues nationales a cédé sa place au français, mieux à la littérature en langue française. Elle fut considérée comme littérature d’élite avant d’être accessible au grand nombre, dans les ex-colonies françaises, grâce aux tentatives d’institutionnalisation de l’alphabétisation, dès les années 1960, date des indépendances africaines. Depuis, d’autres initiatives ont suivi, pour intéresser l’Africain à la maîtrise de la lecture : opération lecture publique, ouverture de bibliothèques sur fond d’animations culturelles, création des Instituts français d’Afrique (dans la majeure partie de l’Afrique de l’Ouest) et autres naissance des petites maisons d’édition. Paradoxalement, même écrite, la littérature africaine francophone reste ignorée du public international, en dépit des qualités esthétiques qu’elle renferme et de la présence de ses fils parmi des Prix et autres distinctions littéraires. Il faut dire que la littérature africaine francophone est restée longtemps associée, elle aussi, à l’oralité.

Etat des lieux :

L’accès à la littérature africaine francophone demeure un chemin sinueux pour qui veut s’imprégner des réalités africaines. C’est un euphémisme de dire que le livre africain francophone existe, à l’instar des oeuvres de Tchikaya U’Tamsi (en photo). C’est une réalité de dresser le constat d’un non-accès à celui-ci, par le public, en Afrique même et en dehors du continent. Il est paradoxal de constater que là où la sculpture a acquis sa place parmi les arts majeurs du monde; là où la musique a réussi à être présente sur les radios internationales; là où les arts de scène sont très sollicités sur la place des festivals du monde, le livre africain francophone ne parvient pas à affirmer sa place dans le concert des Nations. Il se détache, à peine, de cette image emblématique d’un produit qui a du mal à se faire connaître au Nord. La littérature africaine francophone reste une « terra incognita » pour la majorité des lecteurs des littératures du monde au point que pour la rendre accessible, des connaisseurs d’études francophones doivent l’enseigner dans les Universités, que ce soit à Paris IV-Sorbonne ou ailleurs en Europe et au Canada. Oui, disons-le sans ambages : la littérature africaine francophone circule mal par manque des dispositifs devant favoriser sa diffusion. Depuis des longues années, des tentatives ont été faites pour parier à ce manque, sans succès. Aujourd’hui, plus que jamais, ce savoir et ces valeurs ont besoin d’être communiqués pour réconcilier le monde avec un humanisme perdu, un humanisme fait de confiance, de respect, de considération de l’autre, de solidarité et de partage. A ce titre, le livre reste un enjeu mondial au même titre que n’importe quel besoin dans l’épanouissement de l’être humain et l’ouverture d’esprit.

QUELS LIVRES ET QUELS THEMES ?

Or donc, on ne peut pas faire circuler toute la richesse de la littérature africaine dans le monde, au risque de verser dans une inflation livresque. La démarche la plus crédible consiste à faire un tri des livres dont les thèmes sont compatibles avec les attentes internationales; des thèmes susceptibles d’ajouter un plus dans une mondialisation où tout en gardant sa spécificité, l’Afrique peut participer à l’avancée des solutions à apporter à la cohabitation des peuples. Il serait donc souhaitable de privilégier les thèmes liés au choc de la rencontre Afrique /Europe avec ses schémas conflictuels (Noir et Blanc; Tradition et Modernisme; langues africaines et européennes; immigration et solidarité,etc.) à l’écriture féminine vivace; à l’écriture d’exil qui fait son apparition sur la scène grâce à la reconnaissance des nouvelles voix cosmopolites, celles d’ écrivains venus de tous les coins de l’Afrique francophone et à la traduction des œuvres classiques qui sont les traces de la sagesse africaine ou des oeuvres primées dont l’intérêt a
dépassé les frontières du continent.

LES PRIORITES POUR UNE BONNE VISIBILITE

Pour mettre sur pied une structure de promotion et diffusion du livre africain au Nord, il faut compter sur l’appui substantiel et inconditionnel de tous les acteurs du livre; de l’écrivain au petit éditeur de quartier en passant par le critique littéraire d’un journal ou le bibliothécaire du coin. Sept pistes prioritaires : Réunir des libraires, qui dans leurs prérogatives doivent non seulement obtenir une exonération de certaines taxes dans l’achat des livres, mais également, mettre sur pied une véritable politique publicitaire de promotion des livres africains francophones qu’ils vendent (site internet et affiches de promotion). Dans ce même ordre d’idée, établir un contact d’information avec des diffuseurs et/ou distributeurs qui ne sont ni éditeurs ni libraires pour accéder à leur catalogue et les étoffer, au besoin. Les NMPP (Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne -société filiale d’Hachette) sont, dans ce cas, un partenaire de premier plan. Collecter des données sur la base des catalogues (tous genres confondus) existants; des données disponibles sur Internet ou auprès des maisons d’édition qui ont pignon sur rue en Afrique même et qui ont fait leurs preuves -au niveau d’édition- pour que vive la littérature africaine en Europe, au Canada, au Québec. Il s’agira de voir dans quelle mesure accéder aux catalogues de Présence africaine, L’Harmattan, Karthala, Le Seuil et Gallimard (Continent noir) en France. Installation d’une centrale d’achat et de vente du livre africain en Europe. Y assurer le stockage de plus ou moins 500 livres; une sorte de valise itinérante, pour satisfaire les commandes venues d’Europe ou d’ailleurs; une valise à présenter dans les salons et manifestations de livre internationaux. Il s’agit d’être présents aux Salon international du livre de Québec ; Salon du livre africain de Genève, Salon du livre de jeunesse de Namur, Salon du livre à Paris, Salon du livre de Montréal ou à la Foire du livre de Francfort. Ces espaces sont une occasion de rencontres et d’échanges voire de laboratoires propices aux nouveaux projets. Une bonne diffusion et promotion implique nécessairement l’apport de la presse écrite, audio-visuelle ou l’Internet. Elle nécessite l’application d’un tarif préférentiel de publicité dans les média européens d’obédience internationale (Courrier en France, TV5). Négocier avec TV5 la parution mensuelle ou trimestrielle d’une émission de quelques minutes consacrée au livre africain et d’assurer un partenariat avec le Prix des cinq continents qui, chaque année, consacre un roman d’un écrivain témoignant d’une expérience culturelle spécifique enrichissant la langue française. Nul besoin donc de créer un prix et un concours littéraires supplémentaires. Internet n’est pas en reste. Il s’agit d’alimenter le site Internet afin d’assurer une mise à jour régulière des données en tenant compte de la variété de publications venant de diverses maisons d’édition. Avec la possibilité de vente en ligne des livres. La diffusion et la promotion du livre africain francophone, c’est aussi se faire connaître des services de documentation du Nord par la remise, à chaque parution d’un livre, des exemplaires aux Bibliothèques nationales précieuses relais des bibliothèques régionales. Dans le même ordre d’idée, pour stimuler la lecture et réconcilier les Africains avec la lecture, favoriser l’émergence des pôles bibliothèques au sein d’associations et d’ambassades africaines de France, Suisse, Belgique, Canada et Montréal. Le livre africain sera présent dans les bibliothèques nationales, mais aussi dans les écoles par l’organisation des conférences voire des débats avec des hommes et femmes écrivains africains invités. Etablir un état des lieux des maisons d’édition alternatives africaines en Europe pour connaître leur cahier de charge et, dans la mesure du possible, les accompagner dans leur travail. Il s’agira de permettre des meilleures conditions de travail de ces maisons d’édition, des conditions plus humaines, respectueuses des droits d’auteurs. Dans la foulée, il faudra répertorier des revues spécialisées en littérature africaine, à défaut, créer une feuille de liaison -et de réflexion- mensuelle à l’intention des acteurs susmentionnés et de tous les amoureux du livre africain. Organiser, à un rythme trimestriel, dans une librairie, un café littéraire invitant une plume connue, africaine ou européenne, à faire face au public pour qu’ensemble, ils s’interrogent sur le regard qu’ils portent sur les réalités africaines dans le monde. Des soirées de déclamation (slam) pourraient alterner l’activité de ce café littéraire. La mise en oeuvre des objectifs susmentionnés exige l’existence d’une entité viable et fiable prête à s’impliquer dans la valorisation du livre africain en dehors de l’Afrique.

Cikuru Batumike